La transition énergétique représente un défi majeur pour les collectivités territoriales et leurs délégataires de service public. Face aux exigences réglementaires croissantes et aux impératifs environnementaux, l’audit énergétique s’impose comme un outil stratégique dans la gestion des équipements et infrastructures publics. Son intégration dans les contrats de délégation de service public (DSP) soulève de nombreuses questions juridiques, techniques et financières. Entre obligation légale et levier de performance, l’audit énergétique transforme progressivement la relation contractuelle entre délégants et délégataires, créant de nouvelles responsabilités et opportunités pour chacune des parties.

Cadre juridique de l’audit énergétique et son impact sur les DSP

Le cadre normatif de l’audit énergétique s’est considérablement renforcé ces dernières années, sous l’impulsion du droit européen et de sa transposition en droit français. La directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique, modifiée par la directive 2018/2002, constitue le socle réglementaire imposant aux grandes entreprises la réalisation d’audits énergétiques tous les quatre ans. En France, cette obligation a été transposée par la loi n° 2013-619 du 16 juillet 2013 et précisée par le décret n° 2013-1121 du 4 décembre 2013 relatif aux audits énergétiques des grandes entreprises.

Pour les collectivités territoriales et leurs délégataires, le cadre s’est encore renforcé avec la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, puis avec la loi Climat et Résilience du 22 août 2021. Cette dernière étend les obligations d’audit énergétique, notamment pour les bâtiments à usage tertiaire, incluant de nombreux équipements faisant l’objet de DSP (piscines, patinoires, centres culturels, etc.).

Application spécifique aux contrats de DSP

L’articulation entre ces obligations réglementaires et les contrats de délégation de service public pose des questions juridiques spécifiques. En effet, la réalisation d’audits énergétiques peut intervenir à différentes phases de la vie du contrat:

  • En amont de la procédure de mise en concurrence, comme élément d’information des candidats
  • Comme obligation contractuelle du délégataire pendant l’exécution du contrat
  • Comme outil d’évaluation préalable au renouvellement du contrat

Le Code de la commande publique, notamment ses articles L.3114-1 et suivants relatifs aux conditions d’exécution des contrats de concession, permet d’intégrer des clauses environnementales, dont celles relatives aux performances énergétiques. La jurisprudence administrative a confirmé la légalité de telles clauses, à condition qu’elles présentent un lien avec l’objet du contrat (CE, 25 juillet 2019, n° 428409).

Les collectivités délégantes doivent néanmoins veiller à la proportionnalité des exigences imposées. Une obligation d’audit trop contraignante pourrait être qualifiée de modification substantielle si elle était introduite en cours d’exécution, risquant d’entraîner l’annulation de l’avenant ou du contrat lui-même (CE, 9 mars 2018, n° 409972).

Les obligations réglementaires spécifiques aux différents secteurs concernés par les DSP (eau, transports, énergie, équipements sportifs…) viennent compléter ce dispositif général. Par exemple, le décret tertiaire (décret n° 2019-771 du 23 juillet 2019) impose des objectifs de réduction de consommation d’énergie pour les bâtiments tertiaires, impactant directement de nombreux équipements délégués.

Méthodologie et contenu de l’audit énergétique dans le cadre des DSP

La réalisation d’un audit énergétique dans le contexte d’une délégation de service public présente des spécificités méthodologiques qu’il convient de maîtriser. Contrairement à un audit classique, l’audit en contexte de DSP doit prendre en compte la dimension contractuelle et la répartition des responsabilités entre délégant et délégataire.

La norme NF EN 16247-1 définit le cadre général de l’audit énergétique et constitue la référence méthodologique incontournable. Elle prévoit quatre phases principales: la réunion de démarrage, la collecte des données, le travail de terrain et l’analyse. Dans le cadre d’une DSP, cette méthodologie doit être adaptée pour intégrer les contraintes spécifiques liées au service public délégué et aux stipulations contractuelles.

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Périmètre et champ d’application

Le périmètre de l’audit doit être clairement défini dans le contrat de DSP ou dans ses avenants. Il peut concerner:

  • Les installations techniques (chauffage, ventilation, climatisation, éclairage)
  • Les bâtiments et infrastructures
  • Les véhicules et équipements mobiles
  • Les processus industriels spécifiques au service délégué

Pour une piscine municipale par exemple, l’audit portera sur le traitement d’eau, le chauffage des bassins, la ventilation des halls, l’éclairage, mais pourra également inclure les comportements des usagers et du personnel. Pour un réseau de transport public, il concernera la flotte de véhicules, les dépôts, les stations et les systèmes d’information voyageurs.

La temporalité de l’audit constitue également un enjeu majeur. Un audit initial, réalisé en début de contrat, permet d’établir une situation de référence. Des audits périodiques (généralement tous les 3 à 5 ans) permettent de suivre l’évolution des performances et d’ajuster les objectifs contractuels. Un audit final, réalisé avant le terme du contrat, permet d’évaluer l’atteinte des objectifs fixés et de préparer le renouvellement de la DSP.

Contenu technique et livrables attendus

Un audit énergétique complet dans le cadre d’une DSP comporte généralement:

1. Un bilan énergétique détaillé incluant:

  • L’inventaire des sources d’énergie et des équipements consommateurs
  • L’analyse des consommations historiques sur au moins 3 ans
  • La répartition des consommations par usage et par fluide
  • Le calcul des indicateurs de performance énergétique

2. Une analyse fonctionnelle des équipements et de leur utilisation:

  • Mesures in situ des performances réelles
  • Analyse des modes de gestion et de régulation
  • Identification des dysfonctionnements

3. Un plan d’actions hiérarchisé:

  • Préconisations d’amélioration à court, moyen et long terme
  • Estimation des investissements nécessaires
  • Calcul du retour sur investissement et des économies potentielles
  • Priorisation selon critères techniques, financiers et contractuels

La qualité des livrables est déterminante pour l’exploitation ultérieure de l’audit. Le rapport doit être intelligible tant pour les services techniques de la collectivité que pour les élus et les usagers. Les données énergétiques collectées doivent pouvoir alimenter les outils de suivi et de reporting prévus au contrat.

Répartition des responsabilités et financement des audits énergétiques

La question de la répartition des responsabilités entre délégant et délégataire concernant l’audit énergétique constitue un point névralgique de la relation contractuelle. Cette répartition doit être explicitement prévue dans le contrat de DSP pour éviter tout contentieux ultérieur.

Plusieurs modèles de répartition peuvent être envisagés, selon la nature du service délégué et les objectifs poursuivis par la collectivité territoriale:

Modèles de répartition des responsabilités

1. Modèle à responsabilité délégataire: Le délégataire assume l’entière responsabilité de la réalisation de l’audit, de son financement et de la mise en œuvre des préconisations. Ce modèle est particulièrement adapté aux DSP de longue durée (15-20 ans) où le délégataire dispose d’une forte autonomie de gestion. Le Tribunal administratif de Marseille (TA Marseille, 12 janvier 2018, n°1608830) a confirmé la validité de ce modèle, en précisant toutefois que la collectivité conserve un droit de regard sur la qualité de l’audit réalisé.

2. Modèle à responsabilité partagée: La collectivité prend en charge la réalisation de l’audit initial, tandis que le délégataire finance les audits périodiques et la mise en œuvre des actions d’amélioration. Ce modèle équilibré permet à la collectivité de définir le niveau d’exigence initial tout en responsabilisant le délégataire sur le suivi des performances.

3. Modèle à responsabilité délégante: La collectivité conserve la maîtrise complète des audits énergétiques, qu’elle finance et pilote directement. Le délégataire a une obligation de moyens pour atteindre les objectifs fixés à l’issue de l’audit. Ce modèle est fréquent pour les services publics sensibles ou stratégiques.

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Financement et modalités économiques

Le financement des audits et des actions qui en découlent soulève des questions économiques et comptables complexes:

  • Coûts directs de l’audit (prestation intellectuelle)
  • Coûts indirects (mobilisation des équipes, instrumentation, etc.)
  • Financement des investissements préconisés
  • Répartition des économies générées

Plusieurs mécanismes contractuels peuvent être mobilisés:

1. Provision dédiée: Le contrat prévoit une provision spécifique pour le financement des audits et des actions d’amélioration, alimentée par les recettes d’exploitation. Cette solution présente l’avantage de sanctuariser les fonds nécessaires, mais peut complexifier le suivi financier de la DSP.

2. Compte de gros entretien renouvellement (GER): Les actions d’amélioration énergétique peuvent être intégrées au plan de GER, avec un financement partagé entre délégant et délégataire. Le Conseil d’État (CE, 21 décembre 2012, n° 342788) a validé ce mécanisme sous réserve que les travaux concernés correspondent bien à du renouvellement et non à des investissements nouveaux.

3. Mécanisme d’intéressement: Le contrat peut prévoir un partage des économies réalisées suite à l’audit, incitant ainsi le délégataire à mettre en œuvre les préconisations. Ce mécanisme vertueux doit toutefois s’accompagner d’un système de mesure et vérification robuste pour éviter les contentieux sur le calcul des économies réalisées.

4. Subventions et certificats d’économie d’énergie (CEE): Le contrat doit préciser qui du délégant ou du délégataire bénéficie des aides publiques et des CEE générés par les actions d’amélioration. La Commission de régulation de l’énergie recommande une répartition proportionnelle à l’effort financier de chaque partie.

La jurisprudence administrative a progressivement clarifié ces questions de financement. L’arrêt du Conseil d’État du 18 décembre 2020 (n° 432783) a notamment précisé que les investissements découlant d’obligations réglementaires nouvelles peuvent justifier une modification du contrat initial et une compensation financière pour le délégataire, sous certaines conditions.

Intégration des résultats d’audit dans les objectifs de performance contractuels

L’un des principaux défis de l’articulation entre audit énergétique et contrat de DSP réside dans la traduction des résultats de l’audit en objectifs contractuels mesurables et opposables. Cette démarche s’inscrit dans l’évolution générale des contrats publics vers une logique de performance, encouragée par le Code de la commande publique.

Définition d’indicateurs de performance énergétique

Les indicateurs de performance énergétique (IPE) constituent l’outil privilégié pour traduire les résultats de l’audit en obligations contractuelles. Ces indicateurs doivent être:

  • Pertinents par rapport au service délégué
  • Mesurables avec des moyens techniques accessibles
  • Atteignables mais suffisamment ambitieux
  • Réalistes au regard des contraintes du service
  • Temporellement définis avec des échéances précises

Pour une piscine municipale, les IPE pourront inclure la consommation énergétique par m² de plan d’eau, par baigneur, ou le taux de récupération de chaleur sur les eaux grises. Pour un réseau de transport public, on privilégiera la consommation par kilomètre parcouru, par voyageur transporté, ou les émissions de CO2 évitées.

La définition de ces indicateurs doit tenir compte des facteurs d’influence externes qui peuvent affecter la performance énergétique indépendamment de l’action du délégataire: conditions climatiques, fréquentation, modifications réglementaires. Des formules d’ajustement doivent être prévues pour neutraliser ces facteurs et isoler la performance intrinsèque du délégataire.

Mécanismes incitatifs et pénalités

Pour garantir l’atteinte des objectifs définis suite à l’audit, le contrat peut prévoir:

1. Des bonus-malus financiers directement liés aux performances énergétiques mesurées. Ces mécanismes doivent être proportionnés pour représenter une incitation réelle sans déséquilibrer l’économie générale du contrat. La Cour administrative d’appel de Nantes (CAA Nantes, 30 mars 2018, n° 16NT02722) a validé le principe de pénalités basées sur des indicateurs de performance, sous réserve qu’elles soient prévisibles et non excessives.

2. Des clauses de réexamen conditionnées aux résultats énergétiques. Par exemple, la durée du contrat peut être modulée en fonction de l’atteinte des objectifs, ou certaines options peuvent être activées uniquement si les performances sont au rendez-vous.

3. Des mécanismes de partage des gains énergétiques entre délégant, délégataire et usagers. Ce type de clause, inspiré des contrats de performance énergétique, permet d’aligner les intérêts de toutes les parties prenantes.

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4. Un système de reporting transparent et régulier des performances énergétiques, intégré au rapport annuel du délégataire prévu par l’article L.3131-5 du Code de la commande publique. Ce reporting peut alimenter la communication de la collectivité sur sa politique environnementale.

L’expérience de la Métropole de Lyon avec ses contrats de délégation de chauffage urbain illustre l’efficacité de ces mécanismes: l’intégration d’objectifs de réduction des émissions de CO2 assortis de pénalités progressives a permis une diminution de 25% des émissions en 5 ans, bien au-delà des exigences réglementaires.

La jurisprudence administrative tend à valider ces dispositifs incitatifs, à condition qu’ils respectent les principes généraux de la commande publique, notamment l’équilibre économique du contrat et l’égalité de traitement des candidats lors de la mise en concurrence initiale.

Perspectives d’évolution et recommandations pratiques

L’articulation entre audit énergétique et contrats de DSP s’inscrit dans un contexte d’évolution rapide, tant sur le plan réglementaire que technologique. Face à ces mutations, plusieurs perspectives se dessinent pour les acteurs publics et privés impliqués dans ces contrats.

Évolutions réglementaires et tendances futures

Le cadre juridique continue de se renforcer avec plusieurs évolutions notables:

La taxonomie européenne pour les activités durables, établie par le règlement UE 2020/852, influencera progressivement les conditions de financement des projets publics, favorisant ceux qui démontrent une performance énergétique élevée. Les collectivités délégantes et leurs partenaires privés devront intégrer ces critères dans la structuration financière des DSP.

Le paquet législatif européen « Fit for 55 » vise à réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici à 2030. Il renforcera les exigences en matière d’efficacité énergétique des bâtiments et équipements publics, avec un impact direct sur les contrats de DSP existants et futurs.

La stratégie nationale bas-carbone (SNBC) impose désormais aux collectivités territoriales d’aligner leurs politiques publiques avec l’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050. Cette exigence se traduira par des clauses environnementales plus strictes dans les futures DSP.

Sur le plan technique, plusieurs innovations transforment l’approche des audits énergétiques:

Le développement des technologies numériques (IoT, intelligence artificielle, jumeaux numériques) permet une collecte et une analyse en temps réel des données énergétiques, facilitant un pilotage dynamique des installations. Les futurs contrats de DSP intégreront probablement des obligations de déploiement de ces technologies.

L’émergence de nouveaux modèles contractuels hybrides, à mi-chemin entre la DSP et le marché de partenariat, permet d’optimiser le financement des investissements énergétiques. Le Conseil d’État (CE, 8 février 2019, n° 420296) a récemment validé la possibilité de combiner plusieurs montages contractuels au sein d’un même projet.

Recommandations pratiques pour les collectivités et délégataires

Pour les collectivités délégantes, plusieurs actions peuvent être entreprises:

  • Réaliser un schéma directeur énergétique à l’échelle du territoire, permettant de définir une stratégie cohérente pour l’ensemble des équipements publics, délégués ou non
  • Anticiper les audits énergétiques en amont des procédures de renouvellement des DSP, pour disposer de données fiables lors de la consultation
  • Former les services techniques à l’analyse critique des audits énergétiques pour maintenir une expertise publique sur ces sujets
  • Développer des clauses-types relatives aux audits énergétiques, adaptables aux différents types de services délégués

Pour les opérateurs privés candidats ou titulaires de DSP:

  • Investir dans des compétences internes en matière d’efficacité énergétique, créant ainsi un avantage compétitif lors des mises en concurrence
  • Développer des partenariats avec des bureaux d’études spécialisés pour garantir l’indépendance et la qualité des audits réalisés
  • Proposer des solutions de financement innovantes pour les actions d’amélioration énergétique (tiers-financement, intracting, valorisation des CEE)
  • Anticiper les évolutions réglementaires dans les offres, en proposant des trajectoires de performance alignées avec les objectifs nationaux à long terme

Pour les deux parties, la transparence et le dialogue constituent des facteurs clés de succès. La mise en place d’instances de gouvernance spécifiques aux questions énergétiques (comité de pilotage, commission de suivi) peut faciliter l’adaptation continue du contrat aux évolutions techniques et réglementaires.

L’expérience de la Ville de Bordeaux avec sa DSP pour la gestion des équipements aquatiques illustre cette approche collaborative: un comité d’experts indépendants analyse chaque année les performances énergétiques et propose des ajustements contractuels, validés ensuite par avenant si nécessaire.

Enfin, les retours d’expérience montrent que les contrats les plus performants sont ceux qui prévoient une certaine souplesse, permettant d’intégrer les innovations technologiques et les évolutions réglementaires sans remettre en cause l’équilibre économique global. Cette flexibilité doit toutefois s’exercer dans le respect des principes fondamentaux de la commande publique.