La prise en charge des maladies chroniques par les assurances santé constitue un enjeu majeur pour les patients concernés, qui représentent près de 20% de la population française. Face à l’augmentation constante du coût des soins et aux risques de discrimination, le législateur a progressivement renforcé les droits des personnes atteintes de pathologies longue durée. Le cadre réglementaire actuel, fruit de nombreuses évolutions législatives, vise à garantir un accès équitable aux soins tout en préservant l’équilibre financier du système assurantiel. Cette tension permanente entre solidarité nationale et logique assurantielle soulève des questions juridiques complexes que les tribunaux et le législateur continuent d’arbitrer.
Fondements juridiques de la protection des malades chroniques
Le droit à la protection de la santé, consacré par le préambule de la Constitution de 1946, constitue le socle constitutionnel sur lequel repose l’ensemble du dispositif de protection des personnes atteintes de maladies chroniques. Ce principe fondamental a été régulièrement réaffirmé par le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision du 16 janvier 1991 relative à la loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales.
Au niveau européen, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclame dans son article 35 que « toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux ». Cette disposition a été renforcée par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a progressivement construit un corpus de règles protectrices.
Dans le droit national, la loi Évin du 31 décembre 1989 a marqué une première avancée significative en limitant la sélection médicale dans les contrats d’assurance complémentaire santé. Son article 2 interdit notamment de refuser le renouvellement d’un contrat en raison de l’état de santé d’un assuré. Cette loi pionnière a été complétée par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades, qui a renforcé le principe de non-discrimination.
La convention AERAS : un dispositif conventionnel majeur
La convention AERAS (S’Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé), signée en 2006 et révisée en 2011, puis en 2019, constitue un mécanisme original de protection des malades chroniques. Bien que son champ d’application concerne principalement l’assurance emprunteur, elle a établi des principes qui irriguent l’ensemble du droit des assurances santé.
Cette convention implique l’État, les fédérations professionnelles des secteurs de la banque et de l’assurance, et les associations de patients. Elle prévoit notamment un dispositif d’examen approfondi des demandes d’assurance en trois niveaux, garantissant ainsi que chaque dossier bénéficie d’une analyse individualisée.
Le droit à l’oubli, introduit dans la convention en 2015 puis consacré législativement par l’article L. 1141-5 du Code de la santé publique, représente une avancée majeure. Il permet aux personnes guéries d’un cancer de ne plus avoir à déclarer leur ancienne maladie après un délai de dix ans (cinq ans pour les cancers diagnostiqués avant l’âge de 21 ans).
- Protection constitutionnelle du droit à la santé
- Cadre européen des droits fondamentaux
- Dispositifs législatifs nationaux (loi Évin, loi de 2002)
- Mécanismes conventionnels (AERAS)
Régime juridique des affections longue durée (ALD)
Le système français de prise en charge des maladies chroniques repose largement sur le dispositif des affections longue durée (ALD), codifié aux articles L. 322-3 et L. 324-1 du Code de la sécurité sociale. Ce régime dérogatoire au droit commun permet une prise en charge à 100% des soins liés à la pathologie chronique, sans application du ticket modérateur.
La liste des ALD, fixée par décret, comprend aujourd’hui 30 pathologies, dont le diabète, les affections psychiatriques, les insuffisances cardiaques graves ou encore les maladies neurodégénératives. À côté de cette liste, existe le dispositif de l’ALD hors liste (ALD 31) pour les pathologies graves non répertoriées, et l’ALD 32 pour les polypathologies invalidantes.
L’entrée dans le dispositif ALD est soumise à une procédure stricte impliquant le médecin traitant, qui établit un protocole de soins, et le médecin conseil de l’Assurance maladie qui valide ce protocole. Ce document contractuel définit le périmètre des soins pris en charge et engage le patient à respecter le parcours de soins coordonnés.
Contentieux relatifs au statut d’ALD
Les litiges relatifs à la reconnaissance du statut d’ALD sont nombreux et ont donné lieu à une jurisprudence abondante des tribunaux des affaires de sécurité sociale, désormais intégrés aux pôles sociaux des tribunaux judiciaires depuis la réforme de 2019.
La Cour de cassation a précisé dans plusieurs arrêts les conditions d’admission en ALD, notamment concernant la notion de « soins continus d’une durée prévisible supérieure à six mois » exigée par l’article L. 324-1 du Code de la sécurité sociale. Dans un arrêt du 6 mars 2014, la deuxième chambre civile a ainsi jugé que le caractère prévisible de la durée des soins s’apprécie au moment de la demande d’admission.
Le Conseil d’État intervient quant à lui sur la légalité des actes réglementaires fixant la liste des ALD ou définissant les critères d’admission. Dans une décision du 26 octobre 2012, il a rappelé que l’inscription d’une pathologie sur la liste des ALD relevait du pouvoir discrétionnaire du gouvernement, sous réserve d’erreur manifeste d’appréciation.
Interface avec les assurances complémentaires
Le statut d’ALD détermine largement les modalités d’intervention des organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM). Les contrats « responsables », définis par l’article L. 871-1 du Code de la sécurité sociale, doivent respecter un cahier des charges précis concernant la prise en charge des patients en ALD.
La réforme du « 100% santé » mise en œuvre progressivement depuis 2019 a modifié substantiellement ce cadre en garantissant un reste à charge zéro pour certains dispositifs médicaux, y compris pour les patients atteints de maladies chroniques.
Encadrement des pratiques tarifaires des assurances complémentaires
Le Code des assurances et le Code de la mutualité encadrent strictement les pratiques tarifaires des organismes complémentaires à l’égard des personnes souffrant de maladies chroniques. L’article L. 112-1 du Code des assurances pose le principe selon lequel « l’assurance peut être contractée librement » mais cette liberté contractuelle connaît d’importantes limitations concernant l’état de santé des assurés.
L’article 4 de la loi Évin interdit toute majoration de cotisation fondée sur l’évolution de l’état de santé des assurés. Cette disposition constitue un rempart contre les pratiques discriminatoires, mais son champ d’application a été précisé par la jurisprudence. La Cour de cassation, dans un arrêt du 18 mars 2003, a jugé que cette interdiction ne s’appliquait qu’aux contrats individuels et non aux contrats collectifs.
La loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a introduit un nouveau cadre pour les contrats « responsables », bénéficiant d’avantages fiscaux et sociaux. Pour obtenir ce label, les organismes complémentaires doivent respecter des obligations précises, notamment la prise en charge intégrale du ticket modérateur pour certaines prestations liées aux maladies chroniques.
Transparence et information des assurés
Les obligations d’information à la charge des assureurs ont été considérablement renforcées par la loi du 28 janvier 2005 tendant à conforter la confiance et la protection du consommateur. L’article L. 112-2 du Code des assurances impose la remise d’une fiche d’information standardisée permettant une comparaison effective des offres.
Pour les personnes atteintes de maladies chroniques, cette transparence revêt une importance particulière. La jurisprudence a progressivement affiné les contours de cette obligation. Dans un arrêt du 2 octobre 2007, la première chambre civile de la Cour de cassation a sanctionné un assureur qui n’avait pas clairement informé un assuré diabétique des exclusions de garantie liées à sa pathologie.
L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) exerce une surveillance attentive des pratiques du marché. Sa recommandation 2013-R-01 du 8 janvier 2013 relative au traitement des réclamations a contribué à améliorer la protection des assurés vulnérables, notamment ceux souffrant de maladies chroniques.
- Interdiction des majorations tarifaires liées à l’évolution de l’état de santé
- Obligations spécifiques pour les contrats « responsables »
- Renforcement des exigences de transparence
- Contrôle par les autorités de régulation
Dispositifs de solidarité et accès aux soins des malades chroniques
Au-delà du cadre strictement assurantiel, le législateur a mis en place plusieurs mécanismes de solidarité visant à garantir l’accès aux soins des personnes atteintes de maladies chroniques. La Couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C), devenue Complémentaire santé solidaire (CSS) depuis le 1er novembre 2019, constitue un filet de sécurité pour les patients les plus précaires.
L’article L. 861-3 du Code de la sécurité sociale précise que les bénéficiaires de la CSS sont exonérés de participation financière pour les soins pris en charge par l’assurance maladie. Cette disposition est particulièrement favorable aux malades chroniques qui, même en ALD, peuvent faire face à des restes à charge significatifs pour les soins non directement liés à leur pathologie principale.
Le fonds de financement de la protection complémentaire, créé par la loi du 27 juillet 1999, assure le financement de ce dispositif. Son mode de gouvernance, associant représentants de l’État, des caisses d’assurance maladie, des organismes complémentaires et des associations de patients, garantit une prise en compte équilibrée des différents intérêts en présence.
Dispositifs d’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé
Pour les personnes dont les ressources dépassent légèrement le plafond de la CSS mais qui rencontrent des difficultés à financer une complémentaire santé, l’Aide à la complémentaire santé (ACS) a été intégrée à la Complémentaire santé solidaire avec participation financière depuis 2019.
Ce dispositif prévoit une participation modulée selon l’âge du bénéficiaire, ce qui favorise les personnes âgées, souvent plus touchées par les maladies chroniques. Par ailleurs, les contrats collectifs obligatoires d’entreprise, généralisés par l’Accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, ont amélioré la couverture complémentaire de nombreux salariés atteints de pathologies chroniques.
La portabilité des droits, instaurée par l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale, permet aux anciens salariés de conserver temporairement leur couverture complémentaire après la rupture du contrat de travail. Cette disposition est particulièrement protectrice pour les personnes atteintes de maladies chroniques, qui peuvent rencontrer des difficultés à retrouver un emploi.
Mécanismes spécifiques pour les maladies rares
Les maladies rares, qui affectent moins d’une personne sur 2000, bénéficient d’un régime particulier. Le Plan national maladies rares 2018-2022, dans la continuité des deux plans précédents, prévoit des mesures spécifiques pour améliorer la prise en charge financière des patients.
L’article L. 162-17-2-1 du Code de la sécurité sociale autorise la prise en charge dérogatoire de certains produits ou prestations innovants, particulièrement utiles pour les maladies rares. Cette disposition a été complétée par le décret du 23 décembre 2014 relatif aux autorisations temporaires d’utilisation (ATU) des médicaments.
Le fonds de financement de l’innovation thérapeutique, créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, contribue à l’accès des patients atteints de maladies rares aux médicaments innovants, souvent très coûteux.
Perspectives d’évolution et enjeux futurs de la réglementation
L’encadrement juridique de la prise en charge des maladies chroniques par les assurances santé continue d’évoluer pour répondre aux défis contemporains. La numérisation du secteur de la santé soulève de nouvelles questions juridiques, notamment en matière de protection des données de santé des personnes atteintes de pathologies chroniques.
Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et la loi Informatique et Libertés modifiée classent les données de santé parmi les données sensibles bénéficiant d’une protection renforcée. L’article 9 du RGPD interdit en principe le traitement de ces données, mais prévoit des exceptions encadrées, notamment pour les finalités d’assurance.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a publié en juillet 2019 un référentiel relatif aux traitements de données à caractère personnel mis en œuvre par les organismes d’assurance à des fins de passation, gestion et exécution des contrats d’assurance. Ce document précise les conditions dans lesquelles les assureurs peuvent collecter et traiter les données de santé des personnes atteintes de maladies chroniques.
Vers une meilleure prise en compte de la prévention
La stratégie nationale de santé 2018-2022 met l’accent sur la prévention des maladies chroniques. Cette orientation se traduit progressivement dans le droit des assurances santé, avec l’émergence de contrats comportant des garanties de prévention renforcées.
L’article L. 871-1 du Code de la sécurité sociale, modifié par la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, intègre désormais explicitement la prévention parmi les prestations que doivent couvrir les contrats responsables. Cette évolution favorise une approche plus globale de la prise en charge des maladies chroniques.
Les contrats de santé comportementaux, qui proposent des réductions de cotisation en fonction de l’adoption de comportements préventifs, se développent progressivement. Leur encadrement juridique reste toutefois incomplet, suscitant des interrogations sur les risques de discrimination indirecte à l’encontre des personnes atteintes de maladies chroniques.
Harmonisation européenne et influences internationales
L’influence du droit européen sur la réglementation nationale des assurances santé s’accentue. La directive Solvabilité II, transposée en droit français par l’ordonnance du 2 avril 2015, a renforcé les exigences prudentielles applicables aux organismes d’assurance, avec des conséquences indirectes sur la tarification des risques aggravés.
Le Parlement européen a adopté en mars 2019 une résolution sur l’équité, l’égalité d’accès et la non-discrimination dans l’accès aux soins de santé, qui pourrait préfigurer de futures initiatives législatives favorables aux personnes atteintes de maladies chroniques.
Au niveau international, les travaux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les maladies non transmissibles influencent progressivement les cadres réglementaires nationaux. Le Plan d’action mondial pour la lutte contre les maladies non transmissibles 2013-2020 comporte notamment un volet sur l’accès aux soins qui a inspiré plusieurs réformes récentes.
- Protection renforcée des données de santé
- Intégration croissante de la prévention dans les contrats d’assurance
- Influence grandissante du droit européen
- Prise en compte des standards internationaux
Défis contemporains et solutions juridiques innovantes
La prise en charge des maladies chroniques par les assurances santé se trouve aujourd’hui confrontée à des défis inédits, appelant des réponses juridiques innovantes. Le vieillissement de la population et l’augmentation corrélative du nombre de personnes polypathologiques nécessitent une adaptation du cadre réglementaire.
La loi d’adaptation de la société au vieillissement du 28 décembre 2015 a posé les jalons d’une meilleure prise en compte des personnes âgées polypathologiques. Son article 3 prévoit notamment l’élaboration d’un plan personnalisé de compensation pour les personnes âgées en perte d’autonomie, souvent atteintes de plusieurs maladies chroniques.
Le développement des thérapies géniques et des médicaments de thérapie innovante (MTI) soulève des questions juridiques complexes concernant leur prise en charge. L’article L. 162-16-5-2 du Code de la sécurité sociale, modifié par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, a instauré un mécanisme de prise en charge anticipée pour ces traitements souvent destinés aux maladies chroniques rares.
Vers un droit à la portabilité renforcée
La mobilité professionnelle croissante et l’allongement des parcours de carrière rendent nécessaire un renforcement des mécanismes de portabilité des droits en matière d’assurance santé. La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi a constitué une avancée significative en généralisant la portabilité temporaire des garanties de prévoyance et de santé.
Des propositions législatives visent à étendre cette portabilité au-delà des périodes de chômage, pour faciliter les transitions professionnelles des personnes atteintes de maladies chroniques. Un rapport parlementaire remis en février 2020 suggère ainsi la création d’un « compte personnel de protection sociale » qui suivrait l’assuré tout au long de sa vie, indépendamment de son statut professionnel.
Le Défenseur des droits a formulé en octobre 2019 plusieurs recommandations visant à renforcer l’effectivité du droit à la portabilité, notamment pour les personnes en situation de vulnérabilité en raison de leur état de santé.
Adaptation aux nouvelles formes d’organisation des soins
L’émergence de nouvelles formes d’organisation des soins, comme les Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou les Maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), transforme la prise en charge des maladies chroniques et appelle une adaptation du cadre juridique des assurances santé.
L’article L. 162-12-22 du Code de la sécurité sociale, introduit par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, prévoit la possibilité pour les CPTS de conclure des accords avec l’assurance maladie et les organismes complémentaires pour améliorer la prise en charge des patients atteints de pathologies chroniques.
Le développement de la télémédecine, accéléré par la crise sanitaire, a nécessité une adaptation rapide du cadre juridique. Le décret du 13 septembre 2018 relatif à la prise en charge des actes de télémédecine a posé les bases d’un remboursement pérenne de ces actes, particulièrement utiles pour le suivi des maladies chroniques.
La stratégie de transformation du système de santé « Ma Santé 2022 » prévoit un renforcement des parcours de soins coordonnés, avec des implications importantes pour les assurances complémentaires. L’article L. 162-5-3 du Code de la sécurité sociale, modifié par l’ordonnance du 12 mai 2021, élargit le rôle du médecin traitant dans la coordination des soins des patients atteints de maladies chroniques.
- Adaptation aux évolutions démographiques et médicales
- Renforcement des mécanismes de portabilité
- Prise en compte des nouvelles organisations de soins
- Intégration de la télémédecine dans les parcours de soins
L’encadrement juridique de la prise en charge des maladies chroniques par les assurances santé constitue un domaine en constante évolution, à la croisée du droit des assurances, du droit de la sécurité sociale et du droit de la santé. Les réformes récentes témoignent d’une volonté de trouver un équilibre entre solidarité et responsabilité individuelle, tout en garantissant l’accès aux soins des personnes les plus vulnérables. Les défis à venir, qu’ils soient technologiques, démographiques ou économiques, appelleront sans doute de nouvelles innovations juridiques pour maintenir cet équilibre fragile mais fondamental de notre système de protection sociale.
